DE LA MERCHANDISATION DE BRUXELLES
Bram DEWOLFS
Des conteneurs. Un empilement de conteneurs. Des hommes avec ou sans casques ont installé des objets incongrus sur notre petit terrain de pétanque.
Nous sommes en mars, j’ai vite compris de quoi il s’agissait. Il y a tout juste un an, j’étais témoin du même rituel, place de la Monnaie : l’installation du « pop-up restaurant ». Ou comment une chaîne de télé flamande privée s’obstine encore à vouloir faire recette avec un concept totalement passé de mode. Qui décide de ce qu’il convient ou non de propulser dans l’espace public plutôt que dans un de ces nombreux bureaux vides dont Bruxelles regorge, ça, personne n’en sait rien.
Un peu comme ces feux de signalisation de la Bourse, partiellement supprimés au profit de panneaux publicitaires de JC Decaux. Tout aussi révélateur de la politique que la Ville de Bruxelles sous la conduite d’Yvan Mayeur, socialiste sur papier, entend poursuivre. Estompement des couleurs politiques…
Le Plan Hiver pour les sans abris ne semble pas une priorité pour notre Bourgmestre : il sera signé avec quinze jours de retard. Mais le Marché de Noël, lui, est installé plus tôt que prévu. Trois mois ininterrompus de Plaisirs d’Hiver. A l’évidence, la nouvelle majorité s’est fixé un cap bien précis : celui de l’argent rapide.
Vous voyez où je veux en venir. L’urbanisme néolibéral.
La rage des parkings
Impossible de parler de privatisation de l’espace public à Bruxelles sans évoquer, dans le même temps, sa mauvaise gestion absolue. Je vous explique, dans les grandes lignes, le feuilleton de Bruxelles-Ville. 2012, les Rouges (PS, Spa) et les Bleus (MR, Open VLD) décident, après les élections, de se lancer ensemble dans l’aventure. Une alliance de raison avec contrat de mariage à la clé. A première vue, les philosophies politiques des deux camps semblent diamétralement opposées.
Dans la pratique, il en va autrement. Un ménage à trois, avec un amant partagé, maintient en vie cette union sans amour. L’amant – les acteurs privés et leurs gros sous – est conduit avec convoitise, par une porte dérobée, vers la chambre à coucher de la Ville. Des décisions qui concernent plus d’un million d’habitants sont prises dans des alcôves et approuvées plus tard, sans beaucoup de remous, par le conseil communal.
Mais qui sont, au juste, ces acteurs urbains si puissants? Des promoteurs immobiliers, des géants de la bière, des sociétés de parkings. Ils sont les nouveaux propriétaires de ce qui constitua, jadis, le Patrimoine bruxellois. Ce sont eux qui déterminent aujourd’hui à quoi ressemblera Bruxelles demain, pas vous. Le Parking 58, avec sa célèbre terrasse panoramique, sera bientôt presque entièrement affecté à des bureaux surmontés d’un toit verdurisé et privé. Le bâtiment de la Bourse deviendra Temple de la bière. Manifester sur ses marches est d’ores et déjà interdit, le bâtiment ayant été vendu. Sans oublier, bien sûr, nos places, menacées par cette rage obsessionnelle de construire des parkings.
Mais au fait, où en est-on avec ces parkings?
Indignation partagée
Juin 2013.
Le nouveau bourgmestre se laisse docilement photographier en sauveteur de Picnic the Streets et en 2014, les Rouges récupèrent à leur compte la clameur, venue de la rue, pour des boulevards centraux sans voitures.
En chemin, ils « oublient » pourtant de développer une vision globale, inclusive et de bon sens en matière de mobilité, d’espace public et de pollution de l’air.
Après avoir pris comme prévu l’écharpe mayorale à un Freddy Thielemans recasé chez NEO, Yvan Mayeur est à la recherche de son premier fait d’armes. Son phantasme : un hypercentre-ville sans voiture voué à l’événementiel et remplis de touristes consommateurs. La pseudo-participation autour de l’aménagement des boulevards centraux est expédiée au pas de charge, “Il faut avancer”, dixit Yvan Mayeur, tenant lieu d’argument. En échange, les Bleus ont reçu un mini-ring en plein centre et quatre parkings supplémentaires. Des décisions qui, à ce jour, n’ont pu encore être étayées d’aucune façon.
Des procédures telles que les études et les phases de test sont délibérément ignorées, dans l’espoir que la société civile s’endorme tranquillement, toute à sa joie d’avoir reçu un piétonnier. Les voix protestataires continuent pourtant de résonner vivement malgré le “tour de passe-passe” (les propres termes d’Yvan Mayeur, NDT) consistant à déplacer aux Brigitinnes le parking initialement programmé sous la place du Jeu de Balle. Els Ampe – Echevine de la Mobilité et initiatrice du projet d’un p’tit train électrique – trouve encore le temps, malgré un emploi du temps chargé dans les Marolles, d’aller inaugurer un Pocket Park (mini-plaine de jeu) situé juste à côté du futur mini-ring. Des enfants joueront donc à moins de dix mètres d’une infrastructure routière aux fortes concentrations en particules fines et cancérigènes.. Folie pure et simple.
Heureusement, Bruxelles est plus futée que ses politiques et plus saine que la qualité de son air. Fruit d’une indignation partagée, la cohésion entre les Bruxellois concernés est plus forte que jamais. Et l’on voit surgir plus de contestation et et de mouvements citoyens que de restaurants « pop-up ». Les gens en ont assez, et à juste titre. Les politiciens sont largement rémunérés pour défendre les intérêts de tous les Bruxellois, pas seulement ceux au portefeuille bien rempli. L’éthique semble ne plus avoir droit de cité.
Pour un véritable espace public
Un conseil aux autorités bruxelloises : puisez dans votre capital humain au lieu de le nier. Il y a plus qu’assez de moyens de concevoir l’espace public, et par le dialogue, et en tenant compte de toutes les parties prenantes. Donnez sa place, au propre comme au figuré, à une véritable concertation, impliquez les habitants, les commerçants et les associations, faites-les rêver et concrétiser leurs aspirations.
Renforcer l’espace public n’a pas seulement pour but de faire joli mais de stimuler le dialogue avec d’autres acteurs. Ainsi, non seulement on augmentera la participation citoyenne mais on améliorera également le bien-être et la santé de tous les habitants de la ville. De cet espace libéré devrait surgir aussi un espace mieux adapté et mieux partagé. Un lieu par et pour de vraies gens, où l’on peut prendre du bon temps sans pour autant être poussé à la consommation.
Un véritable espace public pour tous les Brusseleirs, quoi…
Bram Dewolfs
[Co-fondateur de l’initiative citoyenne Les Boulistes Bruxellois, Bram Dewolfs s’inquiète de la privatisation de l’espace public à Bruxelles. Ce Bruxellois engagé considère que les politiques bruxellois oublient de développer une vision globale, saine et inclusive de la mobilité, de l’espace public et de la qualité de l’air.]
Traduction de l’article publié dans Brusselnieuws, le 26 mars 2015
voici ce qu’on peut lire à l’entrée du pop-up restaurant de VTM