Enfin, un Point Info sur le piétonnier !

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N’ayons pas peur de le dire, la récente interview d’Yvan Mayeur dans l’Echo, plus qu’un Point Info, c’est une véritable mine de renseignements ! Dès le premier paragraphe, on y apprend que « le piétonnier n’est qu’un outil de la stratégie mise en place dans le centre-ville ».

Cette stratégie devrait, en toute logique, rencontrer les objectifs annoncés de ce projet. Vous savez: la mobilité, la qualité de l’air et de vie en ville, la réappropriation de l’espace public par les citoyens, le Pentagone « apaisé »… Pourtant, à la lueur de cette interview, rien n’est moins sûr.

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Plus personne ne l’ignore, depuis la mise en place de son piétonnier, la Ville de Bruxelles doit faire face à une fronde grandissante des commerçants, sur le périmètre du piétonnier ou autour. Après avoir ri (septembre), nié (octobre) mis en cause (novembre) la bonne santé préalable des commerces menacés, minimisé (depuis) les conséquences de son piétonnier, la Ville semble aujourd’hui s’accommoder plutôt bien de cette situation.

Je ne nie pas que certains commerces ont des difficultés. Mais je constate aussi qu’ils sont repris.

Champagne ! Des départs, des arrivées, c’est la vie. On ne fait pas d’omelette sans casser des oeufs. Les mécontents n’ont qu’à « s’adapter ».

Les commerçants doivent se remettre en question. Par exemple, dans chaque grande ville, l’activité « mode » est une activité importante. Mais toutes les enseignes subissent la concurrence de l’e-commerce. Il faut donc proposer autre chose. Il faut qu’on vienne à la boutique non pas pour acheter mais pour vivre un événement, par exemple en organisant une rencontre avec le créateur.

Parlant de la mode, justement, il y a déjà des tas de boutiques qui le font : un coup dans l’eau, donc. Et tous les types de commerce n’ont pas nécessairement vocation à faire « vivre un événement » à leurs clients pour sublimer l’acte d’achat… de produits de première nécessité, par exemple. Alors quel est le message ? Commerçants, assez ronronné ! Vous entrez dans l’ère de la concurrence effrénée, artificiellement instaurée par la Ville elle-même, intra et extra-muros (piétonnier contre rue Neuve, centre-ville contre Docks et bientôt Neo), ou lorgnant vers les autres métropoles pour faire « comme » à Paris ou « comme » à Londres. Tiens, jamais comme à Bruxelles. A se demander si nos politiques aiment cette ville (et s’ils la connaissent), finalement.

Où l’on apprend (mais qui en doutait?) que les grands projets commerciaux existaient avant le piétonnier…

Ces projets ont été accélérés par le piétonnier et l’ensemble de notre stratégie, j’en suis convaincu. Les initiateurs de ces projets sont venus me trouver en me disant qu’ils voulaient s’inscrire dans notre stratégie car ils la trouvaient porteuse.

Oh ! De la concertation en amont du projet, en tête à tête avec le bourgmestre. Habitants et commerçants, eux, n’ont pas eu cette chance.

La journaliste relève à juste titre que « ce sont des projets de groupes Atenor, Besix, etc. qui parce qu’ils ont les reins solides peuvent se permettre de prendre des risques. Quid des petits commerçants? »

Ces investissements vont permettre aux petites enseignes de venir s’installer. Par exemple, dans le projet Crystal City, on a mis les balises nécessaires pour que les espaces soient réservés aux petites enseignes. On a une vision stratégique pour la ville. On sait où on va.

Vraiment ? Au vu des mois écoulés, il est permis d’en douter.

Ce lundi 6 juin encore, lors du Conseil communal, l’échevine du Commerce, très énervée, tentait d’expliquer qu’il fallait bien comprendre le temps perdu (un an) avant de commencer à mettre en place certains outils, la Ville étant partie de zéro pour faire les choses convenablement… Mais dans ce cas, pourquoi ne pas avoir attendu d’être prêts avant de mettre en place le piétonnier ? lance-t-on depuis les bancs de l’opposition. Tonnerre d’applaudissements dans la salle où sont réunis des commerçants et des habitants. De deux choses l’une, soit c’est de l’amateurisme, et c’est grave, soit cela fait réellement partie de la « vision stratégique »  de la Ville, et c’est encore pire !

Quid des habitants  et du droit au logement ?

Regardons l’immobilier dans le centre. Le privé investit de nouveau. Il y a des nouveaux projets de galeries commerciales et de logements qui vont être construits. D’ici deux ans, il y a 1.000 nouveaux ménages qui vont s’installer dans le centre et qui vont le faire vivre.

Mais cela risque de faire augmenter les prix? fait remarquer la journaliste.

C’est possible mais pour le moment, c’est l’inverse qui se déroule. Ne tirons pas de conclusions hâtives en affirmant que cela va faire grimper les prix. Aujourd’hui, ce qu’il est intéressant de constater, c’est qu’on rend le centre-ville de nouveau attractif!

La définition même de la spéculation, en quelque sorte. Et de fait, le risque de voir les prix s’envoler, à moyen terme, est bien réel, y compris les prix des loyers. Mais Yvan Mayeur se veut rassurant :

On ne chasse pas les « pauvres » du centre-ville. On fait venir une nouvelle population, plus aisée.

Une bien belle déclaration d’intention. Mais… peut-on savoir comment la Ville compte s’y prendre concrètement pour que les seconds arrivent sans chasser les premiers et pour que les propriétaires ne succombent pas à la tentation de rentabiliser davantage leur bien, dans le cas où cette stratégie venait à fonctionner ? Il serait opportun, dès à présent, de mettre en place un mécanisme de blocage des loyers, et que la première à l’appliquer soit la Ville elle-même, via  la Régie foncière, principal propriétaire des immeubles du centre-ville. Quelque chose de prévu en ce sens ?

Quoi qu’il en soit, ce qu’on perçoit bien, à travers cette interview, c’est que ce projet « dont le piétonnier n’est qu’un outil » n’évoque en rien un centre-ville « apaisé », ni aujourd’hui, ni demain. On se croirait plutôt dans une sorte de course à l’échalote géante, où certains concurrents, équipés de moteurs, possèdent plusieurs longueurs d’avance sur les autres et dissimulent, dans leur poche, les plans du parcours remis par les organisateurs…